✩. Bienvenue chez nous ! (Axel & Elisa)

Dimanche midi, midi moins vingt. Thierry, ton père, est stressé comme jamais, il fait les cents pas dans la cuisine et ne cesse ses allers-retours jusqu’à la table pour s’assurer que tout soit en place. Depuis que le divorce a été prononcé, Thierry a pris un appartement sur Nice pour laisser la maison dans laquelle tu as grandi à ta mère. Thierry, les gens sont toujours étonnés de t’entendre l’appeler comme ça, après tout c’est ton père mais c’est une habitude que tu as pris. Ça t’a pris au lycée, pendant ta crise d’adolescence, t’as commencé à l’appeler par son prénom pour l’emmerder et depuis c’est resté. Quand tes parents t’ont annoncé la nouvelle de leur divorce tu l’as mal pris, parce que t’as pas vraiment compris, parce que tu t’en voulais de ne pas avoir vu le truc venir, toi l’avocate acharnée, toi, la pro des mensonges en tous genres et du bluff. Et puis tu t’y es fait, t’as continué ta vie en essayant d’oublier cette drôle de sensation que ton enfance n’a été qu’un tissu de mensonges et qu’on s’est foutu de toi durant tout ce temps. T’as à peine eu le temps de digérer la nouvelle qu’il te balance un truc encore plus gros. « J’ai rencontré quelqu’un et j’aimerais te la présenter. » avait-il dit, comme un ado peu sûr de lui qui demanderait l’approbation de ses parents. T’avais accepté, parce que tu pouvais pas en vouloir à ton père de refaire sa vie, après tout, tes parents s’étaient quittés d’un commun accord parce qu’ils « ne s’aimaient plus ». Alors t’avais pas de parti à prendre, t’avais juste à accepter leur nouvelle conquête du bonheur. En ce jour tout particulier, tu t’étais proposée pour faire la cuisine, t’avais tout prévu : la décoration de la table exigée par ton cher père, une entrée à base de saumon parce que sa nouvelle amie « raffole du saumon » et un hachis-parmentier comme plat de résistance parce qu’il souhaitait « rester simple mais élégant ». Une fois le tout prêt, tu lui serres un verre d’eau. « Arrêtes d’angoisser comme ça, ça va bien se passer. Elle n’est pas plus jeune que moi ? Ce n’est pas une junkie ni une prostituée ? Non, bon bah tu vois, je vois pas pourquoi ça se passerait mal. » Tu poses ta main sur l’épaule de ton père et l’incites à boire son verre d’eau d’un geste de la main. Il le descend d’une traite et décide d’aller changer de chemise pour la troisième fois de la matinée lorsque l’on sonne à la porte. « Vas te changer, j’y vais. » En passant dans la salle à manger pour aller ouvrir, tu vérifies une dernière fois que les quatre couverts soient parfaitement alignés les uns en face des autres. Puis, tu scrutes les quatre verres à pied et te demandes si le fils de la nouvelle amie de Thierry est en âge de boire ou s’il s’agit d’un gamin de l’âge de ta petite sœur. Devant le miroir dans l’entrée, tu vérifies une dernière fois tes boucles et ouvres la porte tout sourire. Soudain tu te figes et ton sourire disparaît. « Axel ? Qu’est-ce que.. qu’est-ce que tu fais là ? » Axel, ce garçon avec qui tu as passé plusieurs jours à Londres, celui qui t’a fait perdre la tête en une soirée et avec qui tu as entretenu une relation des plus inhabituelles, pour toi en tous cas. Il se tient juste devant toi, sur le palier de la porte et tu ne sais pas vraiment quoi lui dire, tu ne t’attendais pas à le revoir un jour. Et il faut bien avouer qu’aujourd’hui n’est pas le jour puisque tu attends du monde alors tu ouvres la bouche et la refermes, sans rien dire.

Ton cerveau semble être en pause jusqu’à ce qu’Axel prononce ton prénom. Durant une seconde qui te parait interminable, tu le détailles bien que tu n’en aies pas vraiment besoin avec ta mémoire. Tu te souviens de lui comme si c’était hier et pourtant tu restes figée là, à fixer l’un des tatouages qui dépasse de sa chemise. Enfin, tu sors de ta léthargie lorsqu’il s’adresse à une autre. Tu te penches alors sur le côté pour voir à qui il s’adresse et découvre une femme, probablement la nouvelle amie de Thierry. Tu écarquilles les yeux et tournes la tête vers Axel à toute vitesse. « Nos parents ? » Enfin tu comprends. Il a fallut qu’il le dise à voix haute pour que l’information ne parvienne jusqu’à ton cerveau, il a fallut que les choses soient clairement dites pour que tu acceptes enfin ce qui est en train de se passer. « Putain.. » C’est tout ce que tu parviens à dire. Tu fronces les sourcils en voyant l’expression sur le visage d’Axel, était-il au courant ? Est-ce qu’il savait lorsqu’il t’a accosté dans ce pub à Londres il y a quelques semaines ? Tu sers la mâchoire et te mord la langue, il semble se délecter de la situation. C’est à cet instant que Thierry débarque et ouvre la porte en grand derrière toi. « Ah vous voilà ! » Il est tout sourire avec sa nouvelle chemise bleue, les bras grands ouverts en signe de bienvenue. « Bonjour, tu dois être Axel c’est ça ? Ta mère m’a beaucoup parlé de toi ! Je m’appelle Thierry et voici ma fille, Elisa. » Il fait un grand sourire à Axel et lui tend la main pour le saluer. Enfin il finit par sortir et venir en aide à la femme qui accompagne Axel, il l’embrasse furtivement et attrape quelque chose dans ses mains. « Bonjour ma chérie. » Il passe l’un de ses bras autour de sa taille et la fait entrer chez lui. « Elisa, voici la femme dont je t’ai parlé. » Tu te forces à sourire, peut-être un peu trop et hoches la tête. « Bonjour, ravie de vous rencontrer. » Thierry l’entraîne vers la cuisine afin qu’elle puisse y déposer les desserts qu’elle a ramené et tu te tournes vers Axel avant de chuchoter. « Est-ce que tu savais ? Quand toi et moi on a.. » tu fais un signe de la main vous montrant tous les deux, tour à tour et hausses les sourcils afin d’appuyer tes dires. « T’étais au courant pour nos parents ? » Cette situation t’embrouille totalement alors tu croises les bras et sers les mâchoires en attendant sa réponse.

Déjà que voir ton père serrer la main de ta petite aventure londonienne a été assez gênant, il faut en plus qu’il embrasse ta nouvelle belle-mère devant toi et qu’il te laisse seule sur le perron avec lui. Alors t’as pris l’initiative de l’interroger, de lui demander ce qui te brûle les lèvres de manière irrépressible depuis que t’as ouvert la porte, mais sa réponse te met mal à l’aise. Tu ta racles la gorge et lui lance un regard furieux. Là tout de suite, t’as pas envie de rire, t’es même limite un peu paniquée rien que de savoir que tu risques de gâcher l’histoire de ton père. Et surtout, tu as peur de ce qu’il pourrait penser de toi s’il savait que tu as passé plusieurs nuits avec un inconnu dans un hôtel à l’étranger. Mais tu finis par pouffer de rire quand tu vois la mine dégoûtée d’Axel. « Oui je t’accorde que j’aurais préféré ne rien savoir moi non plus. » Tu croises les bras et réfléchis un instant, il n’était donc pas au courant, d’un côté t’es soulagée de savoir qu’il n’est pas si tordu mais en même temps la situation est un réel merdier. Tu le suis dehors et te masses les tempes en soupirant, puis le fixes tandis qu’il allume sa cigarette. Tu ne fumes plus depuis bien longtemps, t’as arrêté mais il t’arrive de replonger quand ça va pas, ou quand la situation t’échappe, comme aujourd’hui. Alors tu secoues la tête de gauche à droite mais pioches quand même dans le paquet qu’il te tend. « Merci. » Tu te penches vers son briquet pour qu’il allume ta clope mais son parfum te saute au nez et te ramènes directement à Londres. Tu ne sais pas trop comment réagir alors u prends appui sur le muret derrière toi et hausses les épaules. « A quoi ça servirait de tout leur dire ? De toute manière ça ne voulait rien dire, ce n’était l’affaire que de quelques jours, non ? » T’as dit ça comme si c’était un reproche, tu comprends pas trop ta réaction et tu t’apprêtes à surenchérir quand tu entends la voix de Thierry. « Hey les jeunes, on vous attend au salon ! Vous venez ou pas ? » Tu soupires et relèves doucement la tête vers Axel. « C’est parti, on a juste à faire comme si on s’était jamais vus. » Tu ouvres la porte pour le laisser passer, la journée risque d’être longue.

Simplement quelques jours, qu’il te dit. Tu pinces les lèvres, l’imitant involontairement. T’as voulu le provoquer mais sa réponse ne t’a pas plu alors t’en rajoutes une couche et le regarde passer devant toi, impuissante. Faire comme si de rien n’était ? Tu peux le faire, tu sais que tu peux, que cette aventure ne voulait rien dire, pour aucun de vous deux. Alors tu le suis à l’intérieur, jusqu’au salon où Thierry et sa nouvelle sont assis autour de la table basse où sont posés les amuse-gueules que tu as préparé plus tôt dans la matinée. T’espères qu’il ne va pas tout gâcher, ton père mérite d’être heureux et tu ne voudrais pas que ta petite escapade, décidée sur un coup de tête, ne vienne gâcher sa nouvelle histoire. Evidemment que tu n’as pas apprécié que tes parents divorcent mais cette histoire ne te regarde pas, et tu ne veux pas prendre parti. Alors t’espères de tout ton cœur que le déjeuner se déroulera sans encombres et qu’Axel et toi n’aurez plus à vous croisez après ça. Mais c’est raté, les choses prennent une tournure inattendue lorsqu’Axel hausse la voix sur sa mère et que Thierry et toi restés perplexes. Petit merdeux. Ton père tente de calmer sa mère et tu imites Axel en t’asseyant sur l’un des fauteuils qui entoure la table basse. Leur petite dispute a jeté un froid et tu te sers un verre de rosé pour te donner une contenance. Et puis ta nouvelle belle-mère s’interroge sur Axel et toi et tu te sens légèrement rougir, la température te monte aux joues et ton cerveau se met à chauffer alors tu bois une gorgée pour laisser Axel répondre à ta place et ne pas avoir à porter cette responsabilité. Lâche. Mais tu regrettes immédiatement ton choix en entendant sa réponse, tellement que tu manques de t’étouffer avec la gorgée que tu étais en train de boire. Intimement, ce mot tourne en boucle dans ta tête. Tu tousses un moment pour retrouver ton souffle et lance un regard tellement mauvais à Axel qu’il peut s’estimer heureux que tu n’aies pas des armes à la place des yeux. « Euh oui.. » Tu cherches un mensonge mais t’as jamais vraiment su mentir, pourtant tu te trouves assez crédible dans ce que tu dis. « On s’est croisés une ou deux fois.. A des soirées avec des amis en commun. » Tu souris maladroitement. « Et sinon, vous vous êtes rencontrés comment avec Thierry ? » Et puis la mère d’Axel se lance dans le récit de leur rencontre et ton père l’écoute, un sourire béat sur les lèvres. Tu hoches la tête en souriant toi aussi et lance un nouveau regard noir à Axel. Tu tends un plateau à Axel pour lui offrir des petits toasts et le tend ensuite à ton père et son amie, assis, collés l’un à l’autre. « Et vous faîtes quoi dans la vie ? J’étais persuadée que Thierry rencontrerait quelqu’un sur son lieu de travail mais j’avais tort. » Vous riez toutes les deux et ton père se trémousse, gêné.